Le Very Big problème."Rien n'est bon. Rien n'est mauvais. Il y a juste des choses qui se produisent. Le bon d'aujourd'hui est le mauvais de demain et réciproquement. C'est ce que nous apprend notre taux de cholestérol." Le Very Big problème n’était lui-même que la conséquence d’un problème plus grand encore, plus important, plus complexe, plus mondial : la crise de l’automne 2008, la fameuse crise des subprimes qui en 2017, avait mis sur la paille des milliers de foyers américains incapables de rembourser leurs crédits immobiliers. Elle s’était propagée en Europe par contagion financière comme un virus létal, ralentissant du même coup l’économie Française, les investissements dans les infrastructures, et par voie de conséquence l’activité des entreprises de Travaux Publics. L’inertie du phénomène nous laissait entrevoir que les effets n’arriveraient pas tout de suite. Mais qu’ils arriveraient. (Ça laissait une petite chance de trouver une solution, et un peu de temps pour la chercher). Effet domino ! Effet papillon ! Appelez ça comme vous voulez. Le résultat était le même. La masse salariale des entreprises de TP fondait tranquillement. D’abord les intérimaires ne trouvèrent plus de travail sur les chantiers. Nous n’avions plus d’intérimaires à former. Puis les départs en retraite ne furent pas renouvelés. Nous formions donc de moins en moins d’apprentis pour assurer la transmission des gestes professionnelles et des savoir-faire (ce qui posera un autre problème, mais il faudra attendre quelques années pour s’en apercevoir). Puis j’ai commencé à rencontrer des dirigeants de petites entreprises. Je parle de quelques dizaines de salariés. Pas de grosses PME aux reins solides. Ils avaient, toute leur vie, développé leur affaire, et misé sur une revente au moment de la retraite. Mais la revente n’aurait pas lieu. Pas de travail. Pas de marché. Pas d’activité. Pas de marge. Pas de client au rachat. C’était linéaire, simple et tragique. Mais la vie ne nous brosse pas le poil dans le bon sens, ça se saurait. Et ça ne servirait à rien, il parait que c’est l’adversité qui nous construit. A cette époque lorsque le commercial de l’ETPN poussait la porte du bureau d'un client, on lui faisait comprendre que former pour préparer l’avenir n’était pas le sujet du moment. Il fallait déjà survivre au présent. Il s’appelait Vincent. Il a fini par quitter l'établissement pour changer de secteur professionnel. Lors de notre dernier entretien, je me souviens lui avoir décrit un autre modèle de fonctionnement, un modèle plus ouvert, plus collaboratif, plus souple. En même temps que je tentais de le convaincre que tout n’était pas perdu, je comprenais son souhait de quitter un secteur sinistré. Pourtant il y avait une solution, je le savais, je le sentais. Je commençais même a en percevoir la forme; comme ces mots qu’on a sur le bout de la langue, dont on arrive à saisir quelques lettres en désordre, et qui s’évaporent dès qu’on tente de les attraper. Des mots fantômes... Je n’ai pas réussi à convaincre Vincent de rester chez nous. Je lui ai souhaité bonne chance. Il a fait la même chose. J’ai vu dans son regard à ce moment-là qu’il ne croyait pas que la chance allait pouvoir nous sortir du bourbier dans lequel Mselle Subprime nous enfonçait chaque jour un peu plus. Bye Bye Vincent ! Plus de collaborateur sur le terrain pour tenter de vendre des formations que personne ne voulait acheter, ni celles-là, ni aucune autre. Après concertation avec l’équipe et le conseil d’administration, il a été décidé de ne pas embaucher de nouveau commercial. Nous attendrions le moment opportun. Pour l’instant, il nous fallait économiser nos forces, économiser l’oxygène et trouver une solution pour optimiser ce qui fonctionnait encore un peu : la formation des jeunes apprentis. Optimiser ce qui fonctionnait encore tournait autour du chiffre 8. Parce que 8 est le seul de rentabilité d’une formation traditionnelle. Entendez par là qu’à 8 stagiaires en face d’un formateur, on équilibre dépenses et recettes. Au delà le 8, on réalise une marge. En deçà, on bouffe la baraque. On peut accepter de temps en temps un groupe à 4, 5 ou 6 stagiaires dans un dispositif traditionnel (6 gars dans une salle avec tables, chaises, formateur, tableau et craie, comme en 1930.) parce qu’on veut satisfaire un client. Mais faire du chiffre 6, (ou de 5, ou de 4) le nouveau seuil acceptable de remplissage des groupes était suicidaire. Même en rognant sur les dépenses variables on n’y arriverait pas. Comme si ça n’était pas suffisant, à jouer à ce jeu, on dégradait la qualité des formations, garantissant qu’à terme le client soit mécontent, et fasse appel en deuxième saison à un autre prestataire. La crise des subprimes faisait vaciller l’économie mondiale. L’onde de choc commençait à se faisait sentir jusqu’au fin fond de la Normandie. Nous la prenions au sérieux. Très au sérieux. OK, ce n’était pas la première fois que le secteur des TP était en crise. Son fonctionnement cyclique est bien connu de tous. Ce n’était donc pas la première fois que la formation aux métiers des TP avait à accuser un violent recul d’activité. Seulement c’était la première fois pour moi. Donc c’était la première fois. 2 options se présentaient. La première résultait d’une analyse simpl(ist)e de la situation. Une analyse qui prenait strictement en compte des paramètres du type, "effectif de groupes" et "nombre de classes". La logique de la chambre d’hôtel et de la bourse vide. Si vous offrir une chambre d’hôtel est trop cher pour votre bourse, il vous reste la possibilité de louer un lit dans la chambre de quelqu’un d’autre. Et si louer un lit est encore trop cher, vous pourrez louer quelques heures de sommeil dans un lit partagé. On en était à envisager ce genre de solutions (Non ! pas ouvrir un hôtel de passage). On étudia alors la possibilité d’effectuer des regroupements au sein de même sections. Cette solution résolvait l’équation financière. Mais elle avait deux défauts. Et pas des moindres. 1) Elle ne tenait pas compte du client, 2) ni du stagiaire (On dit « apprenant » quand on est bien élevé). Difficile à avaler si votre stratégie commerciale et votre image revendiquent l'« d’adaptation aux besoins » de vos clients. C’est pourtant dans cette voie qu'à une exception prêt, tous mes homologues s’orientaient, en bon gestionnaires qu’ils étaient. Ils ne semblaient pas s’encombrer de considérations techniques, ni pédagogiques. Il leur fallait une solution rapide, simple et efficace. La solution numéro 1 faisait le job et le faisait bien. Mais le job de qui ? Cette solution satisfaisait les gestionnaires, les banques et les comptables. Les entreprises pour lesquelles nous formions perdaient en choix, et les apprentis se voyaient imposer exactement ce qu’ils cherchaient à fuir en entrant chez nous : l’école qui ressemble à l’école. Pour être concret, la solution 1 consistait à fermer autant de classes à faibles effectifs que nécessaire et à répartir ceux-ci dans les classes restantes, jusqu’à ce que l’effectif par classe remonte au dessus de 8. Idéalement à 10 ou 12. Vous voulez devenir coiffeur ? Nous avons ce qu’il vous faut ! il reste des places en boucherie. Voila comment un système se retourne contre ce qui le légitime. Il se perd lui-même le jour où à choisir entre sa mission et son organisation, il choisit le maintien de son organisation. l'histoire est malheureusement classique. Opter pour la solution 1 : c’était perdre son âme. Je n’avais pas accepté de remettre sur pied cet établissement pour au premier obstacle (OK il était de taille) coucher les pouces, renoncer et suivre la facilité. Un cours de maths sur les équations polynomiales m’avais appris jadis (Maths Sup-Caen-1988) qu’il est possible (au sens mathématique, donc à coup sûr dans cet espace là) de trouver une équation dont les solutions sont les valeurs que vous souhaitez trouver. Plus vos solutions sont nombreuses, plus l’équation sera complexe, et plus sa résolution prendra du temps. Les mathématiques démontraient que cela était possible… en mathématiques. Mais dans la vie ? Les Pythagoriciens pensaient le monde mu par des règles et des lois mathématiques. Leur travail et leurs croyances les poussaient à chercher l’existence et la présence de lois immuables dans les interstices du monde. Peu importe ce qu’on en pense. Ce jour-là quand ce Cours de maths Sup m’est revenu à l’esprit, j’ai franchis sans en avoir conscience la passerelle Pythagoricienne qui reliait le corpus mathématique en sommeil quelque part dans mon cortex, à la vraie vie. Une équation complexe à plusieurs variables était là devant moi qui ne demandait qu’à être décryptée, là où mes homologues ne voyaient qu’un système de 2 équations linéaires à 2 inconnues. De ceux qu’on apprend à résoudre au collège par substitution (Méthode la plus simple) ou par combinaison linéaire (Méthode la plus belle). Il fallait donc découvrir la solution 2. La chercher ailleurs. Pour cela pousser plus loin l’identification des résultats voulus, et dresser un cadre exhaustif des contraintes. C’est-à-dire identifier les variables et écrire l’équation globale. Les variables se montrèrent au nombre de 7. (1) Effectif de groupe supérieur à 8. Indispensable pour que l’organisation soit financièrement viable. (2) Permettre à chacun de définir et de suivre la formation qu’il souhaite. Indispensable pour répondre aux besoins de nos clients. (3) Former où le client le demande. (4) Former quand le client le demande. (5) Permettre à l’apprenant d’avancer à son rythme. (6) Donner le pouvoir d’apprendre à ceux qui le souhaitent. (7) Miser sur le potentiel d’apprenance de chacun. Le jour au bureau je gérais le quotidien. Les pleurs, les bobos, les factures, les problèmes de plomberie, les flexibles qui lâchent, les enquêtes à rendre, les mails à n’en plus finir, les réunions avec les financeurs, les partenaires, etc. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, mon adjointe d’alors, mon bras droit (et mon hémisphère gauche) s’absenta pour donner naissance à son deuxième fils, et je dus me plonger dans ce qu’elle accomplissait avec une dextérité impressionnante : la planification et la gestion des effectifs. Les journées étaient longues. Les moments où je pouvais me concentrer sur le moyen de solutionner l’équation étaient rares. J’ai donc installé, pour bénéficier d’un peu de calme, un second bureau chez moi, au grenier. Pas dans la la maison de 2017. Celle de 2008. Elle aussi était perdue en rase campagne, pleine de chiens et sans internet. C’est coupé du monde que j’ai commencé à modéliser l’équation. Collecter et croiser les données. Les effectifs. Les calendriers. Les alternances. Et à faire des graphiques. En colonnes. Des colonnes. Des colonnes dans tous les sens. Excel était devenu mon meilleur ami. Ces colonnes ont mis mon esprit dans un cul de sac pendant des jours et des jours. Je n'y parvenais pas. Je n'étais pas en échec. La solution était proche, je le sentais. Des milliers d'heures passées à résoudre des problèmes d'algèbre linéaire, de topologie, d'Analyse, de géométries dans toutes sortes d'espaces en classe prépa m'avaient rendu familier de ce sentiment de proximité avec la solution. Enfermé dans mon grenier, soirs après soirs, je demeurais plein de cette étrangeté qui me laissait percevoir autant le but à atteindre que ce qui m'en séparait, sans que je ne puisse identifier, ni l'un ni l'autre. Et ça commençait sérieusement à m'agacer. Mais la patience et le frottement répété de la lame, même émoussée, vient à bout de toutes les cordes. Lorsque le dernier brin de chanvre cède sous les asseaux répétés de la pensée, le rideau tombe, et apparaît la solution dans son évidence et sa simplicité. Bingo ! Ça a finit par se produire. Et jack pot ! Simultanément j'ai trouvé la solution recherchée, et la nature de ce qui m’empêchait de la voir. Ça bloquait depuis des jours à cause du collège, et du célèbre repère Cartésien attribué à René Descartes père biologique de la géométrie analytique, qui permet chaque année à des milliers de collégiens, au sortir de 3ème, d’abandonner la lourdeur des démonstrations Euclidiennes et analogiques, pour entrer dans le monde merveilleux de la modélisation numérique. Dès qu’on aborde en fin de primaire ou en sixième les représentations graphiques à 2 dimensions, on nous colle dans les pattes 2 axes, un x et un Y. Les abscisses (X) sont placés sur un axe horizontal et les ordonnées (Y) sur un axe vertical. C’est comme lire de gauche à droite. On le fait comme ça c’est tout. On ne sait pas pourquoi. Personne ne nous l'a jamais dit, et on ne se pose même plus la question. ( Si on se l'est jamais posée un jour !) Sauf que ça conditionne notre esprit, à ne voir que cela, donc à ne plus voir le reste : Le champs des possibles, les fameux interstices du monde. Partant de là, toute notre vie, on représente les données de la même façon, dans le même repère figé. On les lit avec le même esprit conditionné, jusqu'à ne même plus imaginer qu'un autre possible puisse être possible. ...Si c'est possible ! Quand vous tournez en rond dans le même bocal sphérique depuis 40 ans, sans avoir conscience que vous êtes dans un bocal sphérique, essayez donc de vous échapper ! Je suis sorti de la matrice un dimanche matin de 2009. Dans mon bureau au grenier. Enfermé depuis l’aube je regardais l’écran d’Excel sur lequel des colonnes représentaient les différents groupes d’apprenants que nous avions à piloter sur une année. Environ une quinzaine. Un nombre significatif de ces groupes avaient un effectif inférieur au seuil de 8, et les autres étaient situés à peine au-dessus. Sauf pour les "conducteurs d'engins".Le Graal des formations TP. La quête de la maitrise des Joystick de la pelle 15 tonnes fait toujours recette. Avec ou sans crise des subprimes. A l'écran : un repère cartésien. 15 colonnes. En abscisse les différents groupes répartis sagement par année, et métiers. En ordonnée les effectifs. Représentation normale. classique. Le truc qui ne fait pas débat, du genre 1 plus 1 égal 2. (D'ailleurs 1 plus 1 n'est pas égal à 2, sauf en math.) Il y avait pourtant quelque chose à voir. Quelque chose que je ne percevais pas mais qui était là. Que je sentais à portée de conscience. Cette fameuse étrangeté.
Et puis ça s’est montré. J’ai senti une vague de frisson remonter le long de mon épine dorsale (signe qu'un truc important est en train de se produire) et mon esprit en tension se relâcher. P*** c'était là. Juste là. déjà là ! Comment avais-je pu passer à côté d’un truc aussi évident. Il suffisait d’intervertir lignes et colonnes. De faire faire au tableau une rotation de 90 degrés tout en maintenant le découpage vertical des groupes hebdomadaires. Le fondement de la nouvelle organisation pédagogique de l’Etablissement, qui allait permettre de répondre Oui aux variables (1) (2) (3) (4) (5) (6) et (7) et rapidement nous sortir de l’impasse dans laquelle nous pataugions était capturé. Ca c’est ce que je croyais. Avant d’arriver sur mars, il faut déjà à traverser la rue. Et le trottoir d’en face est parfois plus loin qu’on ne le pense.
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Le trou du C*** du monde."Tout est déjà là. Nous sommes simplement incapables de le voir, ou trop fainéants pour le vouloir." L'histoire de WikiTP commence en 2017 au Carrousel du Louvre à Paris, à quelques mètres de la grande Pyramide, certainement l'un des endroits les plus symboliques de la capitale (merci Dan Brown pour le coup de pouce). L'histoire commence par une douche, une douche de théâtre, un spot qui vous met subitement en lumière sans que vous y soyez préparé, et sans que je m'y attende le moins du monde. A cet instant, après une rencontre furtive immortalisée par une vidéo de 2m57s avec le futur Président de la République Française, tout le microcosme de la formation aux métiers des TP, dont je fais partie, a les yeux rivés sur moi. Moi, le Normand, le provincial, le type qui habite le trou du cul du monde. Et ce n'est pas moi qui le dis, 1) parce que j'aime profondément cette région et 2) parce que j'ai trop de respect pour l'orifice qui, chez les chevaux, produit le précieux crottin : nourriture prisée des pieds de tomates et autres plantes maraîchères. C'est donc ainsi, vers 18:00 le 23 février 2017, que l'aventure WikiTP subit sa première accélération, déclenchant un bang de mur du son, qui subitement montra que quelque chose ici venait de se produire.
La véritable histoire, la seule, commence le 12 décembre 2010, au pied d'une forêt, à des centaines de mètres de toute habitation, là où je vis alors, entouré d'une meute de 7 chiens sauvés de la maltraitance nommés dans l'ordre (Skipper, Airbus, Rmess, Mistral, Beenew, Bogart et Chinon). Elle commence précisément au moment où je réalise que ces choses qu'on croit impossible, on finit par ne pas les faire. Alors qu'en vérité, c'est parce qu'on ne les fait pas, qu'elle sont impossibles. Durant un instant, je "pensé différemment" selon la formule désormais célèbre du type qui a inventé mon téléphone. Je suis là, debout dans ma cuisine, les yeux rivés sur la télé (qui, depuis qu'elle est tombée en panne quelque part en 2012, n'a pas été remplacée) à regarder un reportage de 5 minutes intitulé "Faites votre cinéma chez vous". Le cinéma, ça me connait un peu. Parce que si j'ai depuis longtemps abandonné l'usage quotidien de la fabrique à crétins, je continue de faire grossir une DVDthèque de plus de 500 films et que l'un des meilleurs livres que j'ai jamais lu sur "comment raconter une histoire", à l'époque ou le storytelling n'était pas encore une technique de communication "Top Fashion", est sans hésitation "Ecriture" de celui qu'on qualifie de Maître de l'horreur, depuis que les séries B et les teen movies des 80's sont devenus un genre tout à fait respectable. Toujours debout, le temps s'est arrête, je regarder ce reportage. Mais je pense à tout autre chose. A un problème strictement professionnel que je tente de résoudre depuis plus d'un an et qui me donne du fil à retordre par bobines entières. Depuis septembre 2008, je dirige un centre de formation, un petit centre de formation, le plus petit du grand réseau des centres de formation de la Fédération Nationale des Travaux Publics. (Parenthèse. On va déminer tout de suite. Je sais par expérience que certains parmi vous pensent : Travaux Publics = BTP = Bâtiment = mon pavillon. Non ! Les Travaux Publics, ne sont pas le Bâtiment. De la même façon que deux points [A] et [B] n'ont rien à voir avec le segment qui les relie. La métaphore est tout à fait intentionnelle. Un bâtiment est une boîte fixée au sol, à l'intérieur de laquelle on passe du temps, comme une salle de cinéma (on y revient), une officine de tatoueur, un garage à bateaux ou ma maison au Canada. Pour me rendre de l'officine du tatoueur (vous avez remarqué à quel point tout le monde est tatoué aujourd'hui ?) à ma maison au Canada, j'emprunte des rues, des routes, des ponts. Si je suis un électron ou une goutte d'eau, je vais suivre des réseaux et des canalisations. Bref tout ce qui permet le déplacement d'un bâtiment [A] à un bâtiment [B] emprunte un ouvrage réalisé par les Travaux Publics. Attention ! si vous dites à un p'tit gars des TP qu'il bosse dans le bâtiment.... et surtout s'il est aux commandes d'une pelle hydraulique de 15 tonnes, écartez vous. Un accident est vite arrivé et un trou vite rebouché. Fermons la parenthèse). Le type dans ce reportage télé affirme une chose très simple : "Chacun de nous peut faire son cinéma chez lui" avec un smartphone et un PC standard. Il nous explique comment avec un large sourire comme si c'était à la portée du premier venu. Figé devant l'écran, je bois ses paroles. L'exercice semble d'une simplicité enfantine. Il parait que tout est pré installé sur nos appareils. La fonction "capture vidéo" du smartphone, comme le logiciel de montage du PC. Aujourd'hui tout cela est maîtrisé par des cohortes d'adolescents, mais en 2010 c'était de la science fiction. Le format podcast n'avait pas explosé. Les Youtubers portaient encore des couches, et les vieux comme moi (suis né au cœur de la révolution de 1968 en pleine pénurie de sucre et de lait en poudre) voyaient ce techno-monde d'un œil emprunt de curiosité mêlée de fascination et d'impuissance. Mais je m'accroche. Et le type de conclure "Je ne vous demande pas de me croire ! Essayez !". Faire son cinéma chez soi, dans sa cuisine, son jardin, juste avec un smartphone... ce type raconte n'importe quoi. Tout est bon pour faire de l'audience. Il est 20h10. Puis 20h15. Blanc.... Et si ce n'était pas le cas.... Et si ce type disait la vérité. (Plus tard je devrais relier ce moment au concept d'anti-héro. Le gars, tout ce qu'il y a de plus ordinaire, qui réagit de façon non ordinaire, face à une situation extraordinaire). Et si ce type ne racontait pas de bobards. Et si je pouvais faire ce qu'il dit. Je me mis alors à entrevoir la possibilité d'enfin trouver une solution au problème qui me pourrit la vie depuis que j'assume ce nouveau job dont la description n'avait finalement rien à voir avec la dose quotidienne de difficultés qu'il fallait surmonter. On m'avait bien vendu l'affaire. Mon smartphone à la pomme posé sur la table de la cuisine était équipé d'une fonction vidéo de qualité que je n'avais jamais utilisée. Mon PC à fenêtres compatible avec les pommes, était équipé d'un logiciel de montage basique jamais utilisé non plus; mais oui ! bien là, planqué au fond d'un obscur menu d'utilitaires, comme l'avait affirmé le type de la télé. Finalement il disait peut être la vérité. Si "faire son cinéma à la maison" était possible, je pourrai créer des tutoriels vidéo et résoudre en partie mon problème ! Arrêtez de vous marrer. On est en 2010 au cœur de l'hiver dans la Normandie profonde. A l'époque, je suis déjà passé dans la catégorie des quadras et ma connaissance des potentialités du Web se limite à réserver des billets de trains, envoyer des mails et utiliser de temps en temps un moteur de recherche. Mais grâce à mon prof de maths de sixième, ce jour là un renfort intérieur est sortit de sa réserve. Mon prof de maths de sixième, lors d'une rencontre parents-professeur, posa sur moi une parole qui conditionna le début de mon adolescence et m'envoya suivre un chemin presque tout tracé. Il dit : "Si tu continues comme ça, tu feras des maths dans la vie." ... Allez savoir comment il savait cela. D'ailleurs le savait-il ? En tout cas, il avait raison. J'ai fait des maths dans la vie. J'ai fait des maths parce qu'à l'époque j'avais une orthographe très "fleurie". J'ai fait des maths parce que j'étais incapable de trouver une logique quelconque à l'allemand. J'ai fait encore plus de maths à l'époque où mes notes en maths commencèrent à s'effondrer, juste avant que je prenne conscience que je comprenais mieux avec un cours structuré, qu'avec un mauvais prof. (Ça a son importance pour la suite). Ce prof de maths (le meilleur que j'ai jamais eu) avait posé une parole fondatrice. Je me suis contenté de suivre ses conseils.. (Cours Forrest ! Cours) Alors j'ai continué à faire des maths. Des maths je suis passé à la physique, puis la chimie, la résistance des matériaux, la mécanique du solide, jusqu'à obtenir un diplôme d'ingénieur de l'Ecole Spéciale des Travaux Publics en 1992. Voila pour le CV. Mais le CV on s'en fout. Le truc important, c'est que ce soir là, avec mon smartphone et mon PC, si je n'avais pas été ingénieur, je serais allé me coucher avec le dernier Roman de Murakami. Fin de l'histoire. Problème pas réglé. Mais j'étais ingénieur. Et technicien qui plus est. Savez-vous ce qui distingue un ingénieur de quelqu'un qui ne l'est pas ? Exactement la même chose que ce qui distingue un Don Juan d'un timide. La niaque ! Lorsque la vie se met en travers de votre chemin, vous pose un Big problème, ou vous lance un défit colossal, la partie ne se termine pas. Elle commence. Le défit que me lançait le type de la télé était de taille. Et l'enjeux (Résoudre mon problème au boulot) avait une taille plus grande encore. Au fait, je n'ai jamais totalement résolu le problème en question! Mais selon le premier principe de la sérendipité : c'est en cherchant ce que l'on ne trouve pas, qu'on trouve ce que l'on ne cherche pas.... Et ça n'a pas loupé. 20h20... PC et smartphone en main, je cherchais un sujet pour réaliser My First Tuto. Quel sujet pratico-pratique trouver dans la cuisine d'un type qui ne boit pas d'alcool, ne mange pas d’animaux, recueille des chiens maltraités (dans la limite du raisonnable) et médite quotidiennement ? Faire du thé ? Gagné ! 20:30 top départ.. 23:30 le tuto était en boîte. Capture. Montage. Bande son. Musique. Intro et générique de fin. Le type de la télé avait raison. Moi j'avais des étoiles dans la tête. Une porte s'était ouverte. Je venais de comprendre que mon formatage mental était l'obstacle qui m’empêchait de construire la solution de mon problème au boulot. Ce "truc" dont je rêvais, cet outil qui n'existait pas, dont j'avais besoin, je ne m'étais jamais imaginé capable de le construire par mes propres moyens, ex nihilo, sans aide, sans aucune connaissance et sans le moindre kopec. Pourtant, je venais d'accomplir cette prouesse avec My First Tuto. J'avais créé un tutoriel sans connaissances préalables, sans aide, et sans budget. J'avais réussi ce qui, pour un quadra paumé dans la campagne Normande, relevait d'une certaine prouesse personnelle; et pour un psy, d'un contournement radical de biais cognitif. Je m’inscrivais là, sans le savoir, dans le courant mondial déjà bien enraciné des Hackers, Makers et autres accros au DIY. Retournement de cerveau dans les règles de l'Art et nouveau paradigme de ma pensée : "les choses sont possible tant qu'on n'a pas prouvé qu'elles ne le sont pas". Immédiatement suivi de son corollaire 2.0 "Je kiffe le Wysiwyg". Tout était en place pour attaquer de front le Very Big Problème qui me pourrissait la vie et risquait, si je ne trouvais pas rapidement de solution, de conduire mon petit établissement de formation droit sur les récifs de la cessation d'activité et d'envoyer une quinzaine de personnes à la case chômage sans tirer une carte chance. Pour demeurer sagement dans le champ lexical du chapitre, il était grave temps que je me tire les doigts du C***. |