Le Very Big problème."Rien n'est bon. Rien n'est mauvais. Il y a juste des choses qui se produisent. Le bon d'aujourd'hui est le mauvais de demain et réciproquement. C'est ce que nous apprend notre taux de cholestérol." Le Very Big problème n’était lui-même que la conséquence d’un problème plus grand encore, plus important, plus complexe, plus mondial : la crise de l’automne 2008, la fameuse crise des subprimes qui en 2017, avait mis sur la paille des milliers de foyers américains incapables de rembourser leurs crédits immobiliers. Elle s’était propagée en Europe par contagion financière comme un virus létal, ralentissant du même coup l’économie Française, les investissements dans les infrastructures, et par voie de conséquence l’activité des entreprises de Travaux Publics. L’inertie du phénomène nous laissait entrevoir que les effets n’arriveraient pas tout de suite. Mais qu’ils arriveraient. (Ça laissait une petite chance de trouver une solution, et un peu de temps pour la chercher). Effet domino ! Effet papillon ! Appelez ça comme vous voulez. Le résultat était le même. La masse salariale des entreprises de TP fondait tranquillement. D’abord les intérimaires ne trouvèrent plus de travail sur les chantiers. Nous n’avions plus d’intérimaires à former. Puis les départs en retraite ne furent pas renouvelés. Nous formions donc de moins en moins d’apprentis pour assurer la transmission des gestes professionnelles et des savoir-faire (ce qui posera un autre problème, mais il faudra attendre quelques années pour s’en apercevoir). Puis j’ai commencé à rencontrer des dirigeants de petites entreprises. Je parle de quelques dizaines de salariés. Pas de grosses PME aux reins solides. Ils avaient, toute leur vie, développé leur affaire, et misé sur une revente au moment de la retraite. Mais la revente n’aurait pas lieu. Pas de travail. Pas de marché. Pas d’activité. Pas de marge. Pas de client au rachat. C’était linéaire, simple et tragique. Mais la vie ne nous brosse pas le poil dans le bon sens, ça se saurait. Et ça ne servirait à rien, il parait que c’est l’adversité qui nous construit. A cette époque lorsque le commercial de l’ETPN poussait la porte du bureau d'un client, on lui faisait comprendre que former pour préparer l’avenir n’était pas le sujet du moment. Il fallait déjà survivre au présent. Il s’appelait Vincent. Il a fini par quitter l'établissement pour changer de secteur professionnel. Lors de notre dernier entretien, je me souviens lui avoir décrit un autre modèle de fonctionnement, un modèle plus ouvert, plus collaboratif, plus souple. En même temps que je tentais de le convaincre que tout n’était pas perdu, je comprenais son souhait de quitter un secteur sinistré. Pourtant il y avait une solution, je le savais, je le sentais. Je commençais même a en percevoir la forme; comme ces mots qu’on a sur le bout de la langue, dont on arrive à saisir quelques lettres en désordre, et qui s’évaporent dès qu’on tente de les attraper. Des mots fantômes... Je n’ai pas réussi à convaincre Vincent de rester chez nous. Je lui ai souhaité bonne chance. Il a fait la même chose. J’ai vu dans son regard à ce moment-là qu’il ne croyait pas que la chance allait pouvoir nous sortir du bourbier dans lequel Mselle Subprime nous enfonçait chaque jour un peu plus. Bye Bye Vincent ! Plus de collaborateur sur le terrain pour tenter de vendre des formations que personne ne voulait acheter, ni celles-là, ni aucune autre. Après concertation avec l’équipe et le conseil d’administration, il a été décidé de ne pas embaucher de nouveau commercial. Nous attendrions le moment opportun. Pour l’instant, il nous fallait économiser nos forces, économiser l’oxygène et trouver une solution pour optimiser ce qui fonctionnait encore un peu : la formation des jeunes apprentis. Optimiser ce qui fonctionnait encore tournait autour du chiffre 8. Parce que 8 est le seul de rentabilité d’une formation traditionnelle. Entendez par là qu’à 8 stagiaires en face d’un formateur, on équilibre dépenses et recettes. Au delà le 8, on réalise une marge. En deçà, on bouffe la baraque. On peut accepter de temps en temps un groupe à 4, 5 ou 6 stagiaires dans un dispositif traditionnel (6 gars dans une salle avec tables, chaises, formateur, tableau et craie, comme en 1930.) parce qu’on veut satisfaire un client. Mais faire du chiffre 6, (ou de 5, ou de 4) le nouveau seuil acceptable de remplissage des groupes était suicidaire. Même en rognant sur les dépenses variables on n’y arriverait pas. Comme si ça n’était pas suffisant, à jouer à ce jeu, on dégradait la qualité des formations, garantissant qu’à terme le client soit mécontent, et fasse appel en deuxième saison à un autre prestataire. La crise des subprimes faisait vaciller l’économie mondiale. L’onde de choc commençait à se faisait sentir jusqu’au fin fond de la Normandie. Nous la prenions au sérieux. Très au sérieux. OK, ce n’était pas la première fois que le secteur des TP était en crise. Son fonctionnement cyclique est bien connu de tous. Ce n’était donc pas la première fois que la formation aux métiers des TP avait à accuser un violent recul d’activité. Seulement c’était la première fois pour moi. Donc c’était la première fois. 2 options se présentaient. La première résultait d’une analyse simpl(ist)e de la situation. Une analyse qui prenait strictement en compte des paramètres du type, "effectif de groupes" et "nombre de classes". La logique de la chambre d’hôtel et de la bourse vide. Si vous offrir une chambre d’hôtel est trop cher pour votre bourse, il vous reste la possibilité de louer un lit dans la chambre de quelqu’un d’autre. Et si louer un lit est encore trop cher, vous pourrez louer quelques heures de sommeil dans un lit partagé. On en était à envisager ce genre de solutions (Non ! pas ouvrir un hôtel de passage). On étudia alors la possibilité d’effectuer des regroupements au sein de même sections. Cette solution résolvait l’équation financière. Mais elle avait deux défauts. Et pas des moindres. 1) Elle ne tenait pas compte du client, 2) ni du stagiaire (On dit « apprenant » quand on est bien élevé). Difficile à avaler si votre stratégie commerciale et votre image revendiquent l'« d’adaptation aux besoins » de vos clients. C’est pourtant dans cette voie qu'à une exception prêt, tous mes homologues s’orientaient, en bon gestionnaires qu’ils étaient. Ils ne semblaient pas s’encombrer de considérations techniques, ni pédagogiques. Il leur fallait une solution rapide, simple et efficace. La solution numéro 1 faisait le job et le faisait bien. Mais le job de qui ? Cette solution satisfaisait les gestionnaires, les banques et les comptables. Les entreprises pour lesquelles nous formions perdaient en choix, et les apprentis se voyaient imposer exactement ce qu’ils cherchaient à fuir en entrant chez nous : l’école qui ressemble à l’école. Pour être concret, la solution 1 consistait à fermer autant de classes à faibles effectifs que nécessaire et à répartir ceux-ci dans les classes restantes, jusqu’à ce que l’effectif par classe remonte au dessus de 8. Idéalement à 10 ou 12. Vous voulez devenir coiffeur ? Nous avons ce qu’il vous faut ! il reste des places en boucherie. Voila comment un système se retourne contre ce qui le légitime. Il se perd lui-même le jour où à choisir entre sa mission et son organisation, il choisit le maintien de son organisation. l'histoire est malheureusement classique. Opter pour la solution 1 : c’était perdre son âme. Je n’avais pas accepté de remettre sur pied cet établissement pour au premier obstacle (OK il était de taille) coucher les pouces, renoncer et suivre la facilité. Un cours de maths sur les équations polynomiales m’avais appris jadis (Maths Sup-Caen-1988) qu’il est possible (au sens mathématique, donc à coup sûr dans cet espace là) de trouver une équation dont les solutions sont les valeurs que vous souhaitez trouver. Plus vos solutions sont nombreuses, plus l’équation sera complexe, et plus sa résolution prendra du temps. Les mathématiques démontraient que cela était possible… en mathématiques. Mais dans la vie ? Les Pythagoriciens pensaient le monde mu par des règles et des lois mathématiques. Leur travail et leurs croyances les poussaient à chercher l’existence et la présence de lois immuables dans les interstices du monde. Peu importe ce qu’on en pense. Ce jour-là quand ce Cours de maths Sup m’est revenu à l’esprit, j’ai franchis sans en avoir conscience la passerelle Pythagoricienne qui reliait le corpus mathématique en sommeil quelque part dans mon cortex, à la vraie vie. Une équation complexe à plusieurs variables était là devant moi qui ne demandait qu’à être décryptée, là où mes homologues ne voyaient qu’un système de 2 équations linéaires à 2 inconnues. De ceux qu’on apprend à résoudre au collège par substitution (Méthode la plus simple) ou par combinaison linéaire (Méthode la plus belle). Il fallait donc découvrir la solution 2. La chercher ailleurs. Pour cela pousser plus loin l’identification des résultats voulus, et dresser un cadre exhaustif des contraintes. C’est-à-dire identifier les variables et écrire l’équation globale. Les variables se montrèrent au nombre de 7. (1) Effectif de groupe supérieur à 8. Indispensable pour que l’organisation soit financièrement viable. (2) Permettre à chacun de définir et de suivre la formation qu’il souhaite. Indispensable pour répondre aux besoins de nos clients. (3) Former où le client le demande. (4) Former quand le client le demande. (5) Permettre à l’apprenant d’avancer à son rythme. (6) Donner le pouvoir d’apprendre à ceux qui le souhaitent. (7) Miser sur le potentiel d’apprenance de chacun. Le jour au bureau je gérais le quotidien. Les pleurs, les bobos, les factures, les problèmes de plomberie, les flexibles qui lâchent, les enquêtes à rendre, les mails à n’en plus finir, les réunions avec les financeurs, les partenaires, etc. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, mon adjointe d’alors, mon bras droit (et mon hémisphère gauche) s’absenta pour donner naissance à son deuxième fils, et je dus me plonger dans ce qu’elle accomplissait avec une dextérité impressionnante : la planification et la gestion des effectifs. Les journées étaient longues. Les moments où je pouvais me concentrer sur le moyen de solutionner l’équation étaient rares. J’ai donc installé, pour bénéficier d’un peu de calme, un second bureau chez moi, au grenier. Pas dans la la maison de 2017. Celle de 2008. Elle aussi était perdue en rase campagne, pleine de chiens et sans internet. C’est coupé du monde que j’ai commencé à modéliser l’équation. Collecter et croiser les données. Les effectifs. Les calendriers. Les alternances. Et à faire des graphiques. En colonnes. Des colonnes. Des colonnes dans tous les sens. Excel était devenu mon meilleur ami. Ces colonnes ont mis mon esprit dans un cul de sac pendant des jours et des jours. Je n'y parvenais pas. Je n'étais pas en échec. La solution était proche, je le sentais. Des milliers d'heures passées à résoudre des problèmes d'algèbre linéaire, de topologie, d'Analyse, de géométries dans toutes sortes d'espaces en classe prépa m'avaient rendu familier de ce sentiment de proximité avec la solution. Enfermé dans mon grenier, soirs après soirs, je demeurais plein de cette étrangeté qui me laissait percevoir autant le but à atteindre que ce qui m'en séparait, sans que je ne puisse identifier, ni l'un ni l'autre. Et ça commençait sérieusement à m'agacer. Mais la patience et le frottement répété de la lame, même émoussée, vient à bout de toutes les cordes. Lorsque le dernier brin de chanvre cède sous les asseaux répétés de la pensée, le rideau tombe, et apparaît la solution dans son évidence et sa simplicité. Bingo ! Ça a finit par se produire. Et jack pot ! Simultanément j'ai trouvé la solution recherchée, et la nature de ce qui m’empêchait de la voir. Ça bloquait depuis des jours à cause du collège, et du célèbre repère Cartésien attribué à René Descartes père biologique de la géométrie analytique, qui permet chaque année à des milliers de collégiens, au sortir de 3ème, d’abandonner la lourdeur des démonstrations Euclidiennes et analogiques, pour entrer dans le monde merveilleux de la modélisation numérique. Dès qu’on aborde en fin de primaire ou en sixième les représentations graphiques à 2 dimensions, on nous colle dans les pattes 2 axes, un x et un Y. Les abscisses (X) sont placés sur un axe horizontal et les ordonnées (Y) sur un axe vertical. C’est comme lire de gauche à droite. On le fait comme ça c’est tout. On ne sait pas pourquoi. Personne ne nous l'a jamais dit, et on ne se pose même plus la question. ( Si on se l'est jamais posée un jour !) Sauf que ça conditionne notre esprit, à ne voir que cela, donc à ne plus voir le reste : Le champs des possibles, les fameux interstices du monde. Partant de là, toute notre vie, on représente les données de la même façon, dans le même repère figé. On les lit avec le même esprit conditionné, jusqu'à ne même plus imaginer qu'un autre possible puisse être possible. ...Si c'est possible ! Quand vous tournez en rond dans le même bocal sphérique depuis 40 ans, sans avoir conscience que vous êtes dans un bocal sphérique, essayez donc de vous échapper ! Je suis sorti de la matrice un dimanche matin de 2009. Dans mon bureau au grenier. Enfermé depuis l’aube je regardais l’écran d’Excel sur lequel des colonnes représentaient les différents groupes d’apprenants que nous avions à piloter sur une année. Environ une quinzaine. Un nombre significatif de ces groupes avaient un effectif inférieur au seuil de 8, et les autres étaient situés à peine au-dessus. Sauf pour les "conducteurs d'engins".Le Graal des formations TP. La quête de la maitrise des Joystick de la pelle 15 tonnes fait toujours recette. Avec ou sans crise des subprimes. A l'écran : un repère cartésien. 15 colonnes. En abscisse les différents groupes répartis sagement par année, et métiers. En ordonnée les effectifs. Représentation normale. classique. Le truc qui ne fait pas débat, du genre 1 plus 1 égal 2. (D'ailleurs 1 plus 1 n'est pas égal à 2, sauf en math.) Il y avait pourtant quelque chose à voir. Quelque chose que je ne percevais pas mais qui était là. Que je sentais à portée de conscience. Cette fameuse étrangeté.
Et puis ça s’est montré. J’ai senti une vague de frisson remonter le long de mon épine dorsale (signe qu'un truc important est en train de se produire) et mon esprit en tension se relâcher. P*** c'était là. Juste là. déjà là ! Comment avais-je pu passer à côté d’un truc aussi évident. Il suffisait d’intervertir lignes et colonnes. De faire faire au tableau une rotation de 90 degrés tout en maintenant le découpage vertical des groupes hebdomadaires. Le fondement de la nouvelle organisation pédagogique de l’Etablissement, qui allait permettre de répondre Oui aux variables (1) (2) (3) (4) (5) (6) et (7) et rapidement nous sortir de l’impasse dans laquelle nous pataugions était capturé. Ca c’est ce que je croyais. Avant d’arriver sur mars, il faut déjà à traverser la rue. Et le trottoir d’en face est parfois plus loin qu’on ne le pense.
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