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25/7/2019

Chap#3

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Marie & Christophe

"Il y a 2 façons de se confronter aux choses.
Tourner autour ou les traverser.
Tourner autour laisse un arrière-goût d’inachevé."
​

Organisation mixte ! répéta Paul, mon DG. J’ai regardé sa tête. En 2009, je n’étais encore que son adjoint. Je devais lui succéder en 2010 à son départ en retraite.
"Organisation Mixte ! On le fait déjà. Ce n’est pas vraiment une nouveauté !
- Je me suis mal fait comprendre. Aujourd’hui notre organisation mélange les statuts. C’est tout. On mélange les contrats d’apprentissage avec les contrats de pro. C’est une mixité financière. Pas une mixité pédagogique. Il faut aller plus loin. Beaucoup plus loin.
- C’est-à-dire ? 
- Mélanger tout le monde au sein d'un même métier, et faire de l’hétérogénéité des groupes de principe fondateur de notre organisation et de notre pédagogie. Si un groupe d’apprentis est homogène, tenter d’y greffer un n+unième apprenant, un salarié ou un DE sur un parcours différent est impossible. La greffe ne prend pas, car on tente d'associer 2 logiques incompatibles : l’homogénéité  du groupe avec l’hétérogénéité de la greffe. Le n+unième candidat le supporte mal, car le groupe ne l'intègre pas. Si on veut pouvoir répondre aux entreprises sur les demandes que nous avons actuellement, des demandes unitaires, atypiques et hors catalogue, il faut que les groupes deviennent hétérogènes pas essence. Alors nous pourrons greffer des candidats à l’unité sans avoir à imposer à l’entreprise ni calendrier, ni programme tout en restant dans un coût acceptable, c’est-à-dire proche du coût actuel de prise en charge des formations. Le coût marginal de la formation du n+unième candidat de ce fait ne vaut presque rien, car tout le dispositif est déjà en place. En théorie cela devrait nous permettre de compenser la perte liée aux formations catalogues que nous repoussons sans cesse, pour finir par les abandonner car il devient impossible de franchir le seuil de rentabilité de 8."  Paul ne disait rien. Il me regardait fixement, sans sourciller. Emporté par mon élan, je déroulais le fil de ma logique.
" Une telle organisation n’a que des avantages." Je marquais une pose. Je ne parvenais pas à savoir si Paul allait répondre. " Bon Dieu, C’est une idée géniale ! " ou " C’est le truc le plus farfelu que j’ai jamais entendu. " pour ne pas dire " le plus idiot ".
" Continuez Charles ! Il a juste dit ça.
- OK. Il faut partir du terrain, de la réalité des chantiers. De ce que vivent les salariés et les apprentis lorsqu’ils sont en entreprise. C’est finalement très simple. Le geste professionnel à acquérir ne dépend pas du niveau, ni du diplôme ou du statut de la personne qui vient à nous pour une formation. Poser une bordure T2 ou réaliser un branchement d’adduction d’eau potable, c’est la même chose qu’on soit en CAP canalisateur, en titre Constructeur de canalisations, en perfectionnement AEP, qu’on soit Demandeur d’emploi, apprenti ou salarié. Le geste est le même. Pourquoi regrouper les gens par diplôme comme à l’école de la république ? Cette logique-là ne fonctionne que si on a une volumétrie suffisante. Ça fonctionne dans le cas d’une éducation massive et normalisée. Mais le monde est en train d’opérer un retournement à 180 degrés. Nous n’avons plus suffisamment de candidats, et chacun veut un parcours adapté jusqu’à bénéficier d'une personnalisation totale. Le vieux modèle marche sur 3 pattes et bientôt il va se traîner sur 2. Le monde ne reviendra pas en arrière Paul ! Il nous reste encore un peu de moyens, et nous avons quelques mois devant nous. Ne les gâchons pas à maintenir en vie un dispositif moribond dont la qualité pédagogique n’est plus en phase avec ce que les apprenants attendent de nous.
- Ne vous emballez pas. Il faut étudier les choses » dit-Paul avec un sourire en coin à peine perceptible. Paul était à 18 mois de la retraite. Il avait toute sa vie travaillé dans la formation. Il avait dirigé de gros établissements et  avait un qualité (qui pouvait à tout moment se retourner contre lui.) : Paul faisait confiance. Et je crois qu’il aimait bien les gens "différents". J’ai poursuivi sur ma lancée. Plus je m’évertuais à lui faire comprendre le modèle que j’avais en tête, plus ce modèle gagnait en clarté.
- Pour être concret, aujourd’hui on répète sans cesse les mêmes cours à des groupes d’effectifs de plus en plus faibles. Pourquoi ne pas regrouper tous les apprenants par métier, et non plus par année, ou par diplôme. Ils tireront ainsi profit de leurs différences. Si on met ensemble tous les ignorants, Il ne se passera rien. Mais si on mélange des novices et des personnes expérimentées, on créé des interactions pédagogiques beaucoup plus riches que dans un groupe homogène. Et du même coup, on règle notre problème de sous effectifs tout en améliorant la qualité. On en revient au principe premier d’hétérogénéité.
- OK, OK. Vous m’avais convaincu...presque ! Ce que vous proposez provoquera un changement radical. Tout va être bouleversé : le pointage des stagiaires, le suivi des parcours, la planification, et je ne parle même pas des formateurs. Vous mesurez le risque ? "
Je pensais que Oui. Mais je me trompais. Et de beaucoup. J’étais un jeune directeur et j’avais sous-estimé un phénomène pourtant bien connu : La résistance au changement.  Risque : maximum. Temps nécessaire : beaucoup plus long que prévu. Obstacles à surmonter : sans fin. Gens à convaincre : il en apparaissait tous les jours. Pour moi cette révolution était d’une telle évidence qu’à aucun moment je n’ai imaginé qu’en 2009, personne n’en voudrait.  J’allais subir le ridicule, le dénigrement, les quolibets, les moqueries, les sourires en coin et les regards de biais, bref toute la gamme des expressions de la résistance farouche et passive de ceux qui pensent que si le monde est tel qu’il est ; c’est qu’on a pas trouvé mieux, sinon ça se saurait. Par voie de conséquence, si on n’a pas trouvé mieux, mieux n’existe pas, on est donc au top niveau. Pourquoi chercher plus loin. Voila l’argument parfait pour rester les fesses dans son fauteuil en simili cuir à cultiver un encéphalogramme plat et à vider la réserve de dosettes de café. Mais j’ai aussi découvert que si personne ne peut marcher à votre place sur le chemin escarpé que vous avez choisi (ou qui s’impose à vous), au milieu des hordes d’esprits fossiles, de temps à autre, au moment où vous êtes sur le point de tout lâcher, de renoncer, quelqu’un sort de la foule, croise votre chemin, et vous lance un regard d’encouragement, ou une parole nourricière. Juste pour dire « Les autres ne comprennent pas, mais c’est vous qui êtes sur la bonne voie ! »
- OK Charles ! Vous êtes prêts à vous engager dans un tel projet ? demanda Paul.
- Oui. De toute façon je ne vois pas d’autre solution. Et je ne vais pas attendre ici, à regarder le marché historique s’effondrer. Je sais que si nous ne conservons notre organisation actuelle, nous courrons à la catastrophe financière.
- Bien. Préparez votre présentation pour le prochain conseil d’administration."
Voilà, c’était parti. La mixité totale des groupes (ou quasi-totale) n’était plus une hypothèse. Plus simplement un concept farfelu entre moi et moi. Ça venait de naître au monde réel parce que j’en avais parlé, et que j’avais été entendu. Au commencement était le verbe. Non ? Nous allions donc engager la mutation de l’organisation de l’établissement pour remonter les effectifs de groupes au-dessus du seuil létal de 8. Mais surtout, nous allions réaliser cela en tenant compte de l’équation complexe à 7 paramètres.
Juste avant que je quitte son bureau, Paul a ajouté : "Charles. Ne vous limitez pas à une présentation générale de votre projet. Pensez que le conseil va poser des questions, auxquelles il faudra répondre. C’est eux que vous allez devoir convaincre. Pas moi !"
Je savais que j’avais raison, mais je savais aussi que j’avais une faille. Je n’étais pas le meilleur communicant au monde, et comme on n’a qu’une seule fois l’occasion de faire une première impression. Je n’avais pas le droit à l’erreur.
Le conseil d’administration était composé à l’époque de chefs d’entreprises dont la moitié étaient des TP, et l’autre moitié hors TP. Personne n’était expert en formation.  Un seul argument pouvait les toucher : Et ce n’était pas l’argument de la pertinence pédagogique. Sans équilibre financier, aucune présentation ne pouvait tenir la route. Il fallait donc relier « l’affaire » aux comptes d’exploitation et à la possibilité de rapidement les remettre dans le vert. L’argument financier principal tenait à l'objectif de repasser au-dessus du seuil de 8. Mais comme la solution 1, (le système simpliste de deux équations à deux inconnues) permettait d’atteindre ce but, le risque était grand de voir le Conseil imposer dans cette voie pour éviter d'inutiles complications. Le gain lié au seul franchissement du seuil de 8 n’était donc pas suffisant. Il fallait trouver une autre source de financements.
Sans le savoir (en tout cas si il le savait, il ne me l’a jamais dit) Paul m’a montré le chemin vers l’argument manquant. Ce chemin me conduisit à Marie.
" Prenez contact avec ADEFOR. C’est leur Job de vous donner un coup de main sur votre projet. "
Adefor était un ONVI. Un GIE qui rassemblait tous les centres de formation du bassin Alençonnais : Institut de plasturgie. Services à la personne. Artisanat. Métiers de bouche. Tertiaire et Travaux Publics. Ce GIE avait une unique mission : Accompagner les organismes dans leur mutation pédagogique. Tâche ingrate et difficile qui relevait autant de la capacité à tenter sans relâche le mariage de la carpe et du lapin, que du management de haut vol, tant les directions générales des organismes membres, prises dans le feu des marchés, des réglementations, des réformes et des financements alambiqués, avaient un mal fou à communiquer avec leurs responsables et ingénieurs pédagogiques. Mais Marie ne désespérait pas. Elle accompagnait les établissements, respectait leur rythme, faisait émerger les idées nouvelles, et prenait soin d’éviter aux signaux faibles (dont je faisais partie) de mourir d'étouffement sous le poids des idées reçues. J’ai rencontré Marie dans son bureau installé sur le Pôle Universitaire Nord d’Alençon. J’ai déballé tout ce que j’avais dans la tête, en vrac, en me servant d’un paper board et d’un marqueur. A la fin de mon exposé, le paper board était couvert de mots, flèches en tous sens, dessins, chiffres et connecteurs logiques. Marie, attentive ne m’avait pas interrompu.
"Voila l’idée, dis-je.
- C’est un projet ambitieux ! répondit-elle, avec la retenue et la discrétion qui la caractérise. Comment vois-tu la suite ?
- Hé bien, c’est là où ça se crispe. Il faut imaginer la transition. C’est-à-dire le moyen passer de l’organisation actuelle en silos, à une organisation fondée sur l’hétérogénéité des groupes. Et tout cela sans faire exploser l’avion en vol.
- D'accord. Tu as conscience que ça va demander plusieurs années.? Les formateurs ne supporteront jamais de passer du tout homogène au tout hétérogène du jour au lendemain. Et la rentrée prochaine est dans quelques mois. "
J'avais conscience mais j'avais aussi la foi des novices. On a travaillé dur et on a finit pas trouver. Nous allions organiser la transition à la Japonaise : petit pas à petit pas, sur 5 ans. Mais surtout, Marie apporta assez vite l’argument manquant qui devait convaincre le conseil d’administration. L’argument s’appelait Christophe. Christophe travaillait au service « Développement Numérique du Territoire» de la Région Basse Normandie » (A l’époque les deux Normandie n’avaient pas fusionné.) Marie le connaissait depuis des années, et avait monté plusieurs projets avec lui. Elle organisa un Rendez-vous.
" Ça c’est de l’innovation pédagogique totale ! Christophe était quelqu’un d’ouvert, de pertinent, toujours en quête de pépites à valoriser.  
- Exactement ! dit Marie. Avec ce projet, l’ETPN se place dans la continuité de l’impulsion donnée par Paul depuis l’origine de l’établissement. Mais là ! ça prend une toute autre tournure.
- Comment financerez-vous cette mutation d’organisation ? demanda Christophe.
- Je ne sais pas ! En fait il y a des tas de choses que je ne sais pas sur ce projet. Ça apparaît au fur et à mesure de l’avancement. Pour l’instant on travaille sur l’organisation de la transition de modèle.
- OK, répondit-il! Vous allez avoir besoin d'un volet numérique. Je ne sais pas où. Mais vous allez en avoir besoin. Et  la région peut financer ce volet sur du FSE.
- FSE ? J’entendais pour la première fois les trois lettres qui allaient conditionner ce projet et une grande partie de ma vie professionnelle, jusqu’au grand tournant de l’été 2019 : dix ans plus tard.
- Le Fond Social Européen.  Dit Christophe. Ajoutez une dimension numérique à votre projet, et la région Normandie cofinancera sur ces fonds-là. "
Nous y étions.
Paul m’avait conduit à Marie, Marie à Christophe, et Christophe à l’argument financier qui manquait pour convaincre le conseil d’administration d’opter pour la résolution de l’équation complexe à 7 paramètres et non pas l’équation de niveau collège. Nous allions faire de l’Innovation Pédagogique & Numérique l’ADN de l’ETPN. Pour cela nous irions capter des fonds de soutiens à l’innovation et des co-financements extérieurs. Cette source de revenus financera le temps que je passerai sur ce projet et le temps que l’équipe, à tous les étages de la fusée, passera bientôt. Cette seconde source de revenus allégera le poids financier des fonctions supports impliquées. Couplé à une augmentation des effectifs par groupes. le double dispositif pouvait remettre les comptes dans le vert. Et ça a fonctionné.
La mémoire est imparfaite, la vérité relative, et la réécriture de l’histoire une discipline courante qui n’est pas pratiquée, par tous ceux qui s’y adonnent, avec la rigueur académique de mise chez les historiens. On a vu des criminels devenir des héros et des saints voués à la fosse commune. L’histoire, oui, est un instrument de contournement du réel, pour ne pas dire « d’instrumentalisation ». Vous savez ce qu’on dit de la notoriété ? (Entre notoriété et histoire il n’y a qu’un petit pas aujourd’hui à l’heure du buzz digital organisé) : Vous pouvez estimer que vous êtes connus quand des gens que vous avez croisés une fois sur un quai de gare racontent partout qu’ils partagent votre salle de bains. Pour les projets, c’est la même chose. Vous mesurez qu’ils sont « importants », le jour où leur histoire s’échappe pour vivre sa propre vie, déformée, capturée, amplifiée, colorée ou noircie par tout un tas de personnes, dont une faible proportion sait exactement de quoi elle parle (vous avez leur 06) et le reste colporte ou écrit à peu près n’importe quoi. Avant d’en arriver à ce point crucial où il devient urgent d'intégrer la  communication à la stratégie, au risque de voir le « mythe » prendre des couleurs de ragots de bas-fonds, il devra s’écouler du temps. Le temps de la conception, de la gestation, de la naissance et le temps de l’enfance. Ce temps long et faussement paisible ou toute l’énergie est mise pour d’abord s’extirper du ventre nourricier, naître à un monde nouveau, y survivre, puis exister, devenir légitime, puis renaître… à sois, aux autres… renaître sans cesse.
J’ai donc présenté le concept de la nouvelle organisation au conseil d’administration lors de l'assemblée générale du 18 juin 2019 (étrange synchronicité pour un nouvel appel). Le Powerpoint d’origine est enregistré quelque part sur mes disques durs d’archives. Dix personnes ont écouté attentivement, posé des questions pertinentes. J’y ai répondu, Voilà !
Accouchement en douceur. Une claque sur les fesses du bébé. Un cri de bienvenu. Tout est OK. Lavage de mains. Dossier suivant. YAPLUKA !
Sur le Procès-Verbal d’Assemblée Générale, avec tout le formalisme de rigueur, il est écrit : "L'Assemblée Générale approuve le nouveau modèle pédagogique." Acte de naissance signé.
Parrain : Christophe. Marraine : Marie.
Le bébé n’a pas encore de nom. A ce stade on a bien pensé à « Nouvelle organisation pédagogique de l’ETPN», ça faisait un peu prénom indien, mais en bien moins exotique que « Brise du matin » ou « Cheval fougueux ».
Faudra vraiment qu’on trouve autre chose ! L'idée d'un nom de baptême a commencé à germer quand nous nous sommes attaqué à la question du volet numérique. 

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